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Conversation avec Douglas Coupland

L'artiste phare se livre au sujet de la beauté et de la réalité de "The New Ice Age"

Douglas Coupland, Lavender Peace.
Douglas Coupland, Lavender Peace. Photo gracieuseté de la galerie Daniel Faria / LF Documentation

Pour ceux qui arrivaient à l’âge adulte dans les années 1990, l’écrivain, designer et artiste visuel Douglas Coupland était considéré comme un prophète culturel après la publication de son premier roman, Génération X . L’artiste vancouvérois né en Allemagne aux multiples occupations popularise alors cette étiquette maintenant emblématique de la cohorte née entre le milieu des années 1960 et 1980. Pendant les trente années suivantes, Coupland publie 14 romans et des séries de nouvelles et des essais, témoignant de sa finesse d’esprit caractéristique et de son émerveillement d’enfant dans plus de 20 expositions d’art visuel dans le monde entier. Ses œuvres diversifiées dans des espaces publics ont brisé tous les types de records – sa sculpture de 2009 en aluminium et en acier inoxydable intitulée Digital Orca [orque numérique], à côté du centre des congrès de Vancouver, est l’une des œuvres d’art les plus photographiées de toute l’histoire du Canada. Les honneurs ont suivi, comme la nomination de chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres de France et d’officier de l’Ordre du Canada, mais ils ne l’ont pas ralenti. 

Pour sa toute récente exposition à la galerie Daniel Faria de Toronto, Coupland – réputé pour intégrer la technologie à ses peintures et installations – a fait quelque chose qu’il n’avait jamais fait : une série d’huiles sur toile, toutes réalisées entièrement à la main. Le résultat est The New Ice Age [la nouvelle ère glaciaire], qui évoque des œuvres du Groupe des Sept – un collectif de paysagistes canadiens du 20e siècle – tout en explorant les enjeux des changements climatiques, la culture pop rétro et la mortalité. Pendant une courte pause avant d’entamer sa prochaine collection de toiles, Coupland a échangé avec Expérience à propos de ses motivations artistiques de l’heure.

De quoi s’est inspiré The New Ice Age?

Malheureusement, ma mère est décédée, j’ai fait le point et j’ai réalisé qu’aucune des œuvres que j’avais livrées au monde ne provenait directement de mon cerveau par mon système nerveux central. Bref, je n’avais rien fait de ma main avec un pinceau sur une surface. Si quelque chose d’important de votre vie part, vous allez changer, mais vous ne savez pas en quoi consistera ce changement. J’avais 60 ans et plutôt que de continuer à voyager autant – je parcourais environ 16 000 kilomètres par mois – je suis resté dans mon studio et j’ai peint.

Comme cette œuvre le montre, beaucoup de votre travail passé évoquait des icebergs. Pourquoi vous fascinent-ils autant depuis longtemps?

Ils sont associés à des souvenirs de mes parents. Je réalise des mosaïques du Groupe des Sept de longue date, mais jamais n’ont-elles été aussi intimes. J’y suis revenu après un vol de retour de Munich où j’ai vu des icebergs pendant notre survol du Groenland. Mon père était pilote de chasse dans l’aviation et, une fois retourné à la vie civile, il a possédé quelques hydravions, qu’il louait à des sociétés aériennes locales. Nous remontions la côte jusqu’en Alaska, et nous voyions d’énormes icebergs se détacher des glaciers. Les voir de près est une sensation unique. Réaliser cette série de toiles m’a également incité à travailler avec les œuvres de Lawren Harris.

Dans votre note d’accompagnement, vous affirmez sentir que les icebergs du monde entier sont tous ensorcelés. Ces nouvelles peintures sont-elles une façon de comprendre, d’inverser ou de diffuser le sortilège?

C’est tout cela. J’ai toujours aimé dire que beaucoup de mes œuvres présentent une sorte de beauté toxique intrinsèque. Comme des bonbons empoisonnés. Je crois que celles de l’exposition font ressortir ce sortilège et font reconnaître l’urgence climatique. Plutôt que de parler de l’éléphant dans la pièce, vous pouvez regarder l’éléphant dans la pièce.

Douglas Coupland, Tobacco Iceberg. Photo gracieuseté de la galerie Daniel Faria / LF Documentation
Tobacco Iceberg, 2023. Oil on canvas.

Parlons un peu du nom de ces toiles. Lavender Peace [paix de lavande] et French’s Mustard with Strawberry Sauce [moutarde French’s avec sauce aux fraises] sont deux noms percutants. Quelle est l’inspiration derrière ces désignations humoristiques pour des œuvres qui évoquent des artistes qui font autorité comme ceux du Groupe des Sept?

Le Groupe des Sept, c’était il y a longtemps – même si je suis presque étonné d’en entendre parler comme s’ils avaient vécu hier. Mais tout cela remonte à plus d’un siècle. Je crois que de les revisiter ramène tout dans notre propre siècle. French’s Mustard with Strawberry Sauce était une expérience avec les couleurs, mais c’est aussi révélateur du fardeau de l’histoire et des documents passés. La moutarde est une pique au besoin de rendre tout spectaculaire ou de rendre tout plus gros que cela ne l’est véritablement.

J’aimerais aborder la question de la peinture qui, selon vous, est une manifestation claire de votre système nerveux central. Pourquoi cet élan vers une expression aussi tactile?

Presque tout ce que j’ai fait jusqu’à tout récemment faisait appel à des caméras, de la photographie, de la mécanique, des machines-outils, etc. Quand j’ai commencé à peindre avec un pinceau et avec mes mains, j’ai commencé à développer plus de muscles – des muscles nécessires pour tenir un pinceau contre une surface verticale. C’est comme couper des légumes. Vous acquérez une certaine technique au fil du temps. J’ai jeté mes six premiers mois de travail, mais maintenant j’ai pris le rythme. Ma technique s’est améliorée et chaque toile est une aventure, car une erreur peut devenir intéressante. Le processus vous force également à attendre que la peinture sèche et à repenser à tout, ce que j’aime bien.

Votre dernière collaboration avec la marque de mode Valentino utilisait la phrase « La beauté est devenue en quelque sorte un acte de rébellion ». Pourquoi, selon vous, la beauté est-elle radicale?

Les établissements d’enseignement supérieur vous apprennent à faire du travail subjectif de façon indépendante – qu’il s’agisse de rédaction ou qu’il s’agisse de quoi que ce soit de créatif, ce que vous êtes autorisé à faire est devenu tellement orthodoxe et rigide. Je crois que l’orthodoxie a probablement détruit la vie créative de tellement de gens qui, autrement, auraient probablement réalisé de grandes choses. Cela s’applique à la mode et à l’art. Les belles choses n’ont pas besoin de règles. Je crois que nous ne devrions que faire ce que nous allons faire et assumer les répercussions et la critique qui l’accompagnent.

Vous avez écrit un article humoristique pour The Guardian et vous vous êtes désigné comme une « app ». Votre vie vous semble-t-elle toujours comme celle d’une « app »?

Non. J’ai dépassé ce stade. Je crois qu’il y a toute une vague de néo-surréalisme à laquelle beaucoup de jeunes adhèrent, qui fait appel à l’intelligence artificielle, et je travaille à contre-courant. Si vous voulez voir un canard qui mange des spaghettis sur le haut de l’Everest… vroum, vroum, vous commandez cette image dans un programme d’intelligence artificielle et vous l’obtenez. La peinture manuelle est une façon de contourner ce mouvement, de m’appuyer sur ma technique et mon système nerveux central, et de voir si j’obtiens ou non quelque chose.

Votre prochaine vague de toiles sera axée sur les arbres et les forêts. Y a-t-il quelque chose qui influe sur la vision que vous en avez?

J’habite une maison entourée d’arbres de 30 mètres. J’ai grandi entouré d’arbres. J’espère que le travail qui en sortira pourra devenir une capsule temporelle, plutôt que d’être simplement temporaire.

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